Ambre
9 Octobre 2020.
Dernière mise à jour : 10 oct. 2020
Alors voilà, en ce moment, j’écoute mon artiste favori, Ben Mazué (disons que c’est soit lui, soit Woodkid) et comme souvent quand j’entends des jolis textes, ça me donne envie d’écrire. Je dis ça me « donne » mais en réalité, ça serait plutôt ça me « redonne » l’envie d’écrire, celle qui a été sacrifiée sur l’autel d’une organisation hasardeuse et d’heures de travail trop conséquentes de ces derniers mois. Ce sentiment de débordement, sans début sans fin, ponctué d’assiettes de repas non terminées qui trainent près de l’ordinateur, commandées souvent, parce qu’on n’a plus trop le temps de cuisiner, et de « multitasking » qui consiste à étendre sa machine à laver tout en étant en réunion sur Zoom, ou je ne sais pas moi, faire ses courses sur Internet pendant nos temps de récupération à la salle de sport.
Cette organisation qui fait que moi, grande manitou du « le travail est simple outil pour avoir une belle vie en parallèle » a fait que je me suis faite happer, happer dans une vie d’emails à pas d’heure, et de normalisation du travail le weekend, de me réveiller en voyant des notifications sur des projets reçues à minuit, deux heures ou autre.
Je sais bien, d’une certaine façon, qu’on passe tous par là, on appelle ça « des périodes de rush ». On les connaît bien ces fameuses périodes, ces moments où l’on serre les dents, où l’on rêve aux prochaines vacances, où l’on se dit « ça va se calmer quand on aura fini tel projet». C’est un peu une sorte de rite initiatique qui nous fait nous dire, « ce que je fais est important », même si ce qu’on fait, ce qui nous prend tant d’heures dans le fond, ça n’a pas toujours trop de sens. Que si vraiment on parvenait à se concentrer sur ce qui compte dans notre travail, il faudrait qu’on enlève 50% des trucs qui apparaissent sur notre « to do list».
Je sais que certains aiment ça, ces longues heures, ces journées chargées, pour eux, c’est une forme de réalisation par le travail, d’ambition, ça montre qu’on compte. Ce n’est plus « ce que je fais est important », même si on parle de slides, d’Excel, de réunions, qui au final, ne changeront jamais la face du monde. Non, ça devient « je suis important ».
Mais je ne sais pas, je n’ai jamais été de ceux-là moi, j’ai toujours eu cette ambition contrôlée, celle de vouloir apprendre, toujours, avancer encore, me « challenger » intellectuellement, comme qui dirait, mais de vouloir mon temps à moi.
C’est un peu comme si j’étais entrée dans le monde du travail en voulant au fond de moi avoir ce qu’on appelle un « poste de planqué », celui où l’on s’en va à 17h30, sans passer sa soirée à lister les trucs qu’il faut qu’on pense à demander à untel, des brouillons de solutions pour tel problème qu’on a identifié dans la journée. Quand on se réveille au milieu de la nuit en se disant « hey, faut que je pense à faire telle chose pour le boulot », je ne crois pas que ça veuille dire qu’on est passionné, pour moi, ça veut plus dire qu’on est possédé.
Voilà, j’ai toujours donné de l’importance à cette notion de temps pour soi, le vrai, celui qui ne se fait pas vampiriser par toutes ces pensées parasites. C’est par ce temps à moi, que j’ai pu « me réaliser » jusqu’à présent, c’est « mon temps à moi » qui a permis le sport, les marathons, les triathlons, l’écriture, la lecture, la culture, le violon, les cours de portugais, l’espagnol, la salsa, les formations quelconques, les beaux voyages, et surtout, surtout, le temps qualitatif avec celui qui partage ma vie et avec mes amis. Je me suis toujours dit que si je mourrais demain, ce qui compterait, c’est la somme de tout ça. Pas les slides, les mails, les lignes de code, que sais-je encore, réalisés entre 21h et minuit. Je n’ai jamais pu m’empêcher de trouver « triste » la vie des bourreaux de travail, en tout cas, selon mes critères de bonheur et d’épanouissement.
Je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne sais pas, où, il est passé ce temps, ce temps doux, ce temps de prendre le temps. En général, ce fameux rush, cette fameuse sur-organisation, on la connaît tous un moment. On se dit que c’est pour « la bonne cause ». Je ne sais pas trop ce que c’est la bonne cause, mais voilà, c’est ce qu’on se dit. On se dit que dans quelques semaines, on prendra à nouveau des pauses un peu trop longues à la machine à café, nos déjeuners s’étendront un peu trop, ou on arrivera à 9 h 30 le matin sans trop se presser. Peut-être même qu’on attendra 10h avant de répondre à son premier mail tiens.
On ira prendre des verres dès 18h, sans se dire qu’il faudra qu’on allume à nouveau notre ordinateur à 21h en rentrant. Mais cet horizon, ça fait un moment que je ne l’ai plus aperçu, et je ne suis pas sûr que son retour se dessine à un quelconque moment.
J'y crois pas, à ce côté « il faut en passer par là dans sa carrière ». Pour aller où, atteindre quoi ? J’ai pas le rêve moi, des hauts postes, des grandes responsabilités, des titres de "directeur", "senior manager". Je m’en fou. J'ai jamais compris ce qu'il y avait d'excitant dans la perspective d'avoir un job où les vacances n'en sont plus vraiment, où on répond à ses mails à 23h. Moi je veux un job qui m’intéresse, où j’apprends, ou je réalise des trucs qui ont du sens, où tu as du temps pour faire ces fameuses choses « qui auront rempli ta vie de beaux souvenirs avant que tu meures », et je n’ai jamais vu le contre-exemple de la personne qui serait montée sans avoir abandonné au passage ce temps qualitatif au prix de réunions kafkaïennes et chronophages. Ça n’m’a jamais fait rêver moi, les gens qui atteignent tel ou tel poste avant leur Xème anniversaire. En revanche, ceux qui ont su réaliser toute une palanquée de projet perso, de beaux moments, en parallèle de leur travail, si.
Pourtant, je ne fais pas partie de ceux qui veulent se reconvertir, tout plaquer et partir faire des savons au lait d’ânesse au Pérou. Je n’ai pas le rêve secret et inassouvi de devenir chef pâtissier, ou monter ma boîte de je n’sais quoi. Ça ne me fait pas rêver non plus la vie d’entrepreneur, j’ai toujours trouvé que la liberté qu’on y associait était en demi-teinte. Je l’aime mon boulot, mais je n’aime pas la place qu’il prend, un peu comme un enfant trop capricieux qu’on aurait laissé un peu trop empiéter sur tout.
Je n’sais pas si c’est un truc de génération Y, Z, je ne sais pas si on est devenu trop geignard ou si le digital a enlevé toute notion de limite à ce qu’ont connu ceux qui nous ont précédés. Je ne sais pas d’où ça sort, cette épidémie, cette pandémie de burn out ces dix dernières années, je ne sais pas si c’est un truc vieux comme le monde dont on commence juste à parler depuis quelque temps, ou si c’est une des conséquences d’un monde qui a su abolir les frontières du personnel et du professionnel au gré des avancées technologiques.
Alors voilà, comme toujours parce que c’est ce dont j’ai besoin, j’avance, « je marche » (pour revenir à Ben Mazué). Un cours d’espagnol par ci, une heure de vélo ou de natation par là. Quelques verres de vin avec les copains, des restaus et des weekends avec l’amoureux. Je continue de cocher des trucs de la vie d’adulte, j’achète un appart, on prépare un mariage. J'ai 29 ans dans 6 jours. Et je rêve d’un « moment creux ».